Shopmium

La startup qui a gagné le pari de se confronter aux startups américaines

Le 07 février 2021
Interview

Ce pari, Eli Curetti, le fondateur de Shopmium, l’a gagné avec ses deux cofondateurs,

Quentin de Chivré et Philippe Cantet,

grâce à l’innovation et la compréhension de la culture américaine à laquelle ils ont dû s’adapter.

Ce succès ne s’est pas réalisé sans difficultés…

 

 

 

 

Pouvez-vous vous présenter, et présenter votre relation avec les États-Unis ?

Je m’appelle Eli Curetti, j’ai commencé ma carrière chez McKinsey en 1997, puis j’ai déménagé dans la Silicon Valley pour rejoindre QuinStreet une petite start-up à l’époque, mais qui est maintenant cotée au Nasdaq. Après cette expérience, je suis rentré en France pour créer ma première start-up, Planetanoo, qui a été rachetée par PriceMinister (Rakuten).

En 2010, j’ai co-fondé Shopmium, une application de marketing et coupons mobiles pour les produits de grande consommation. Avec Shopmium, nous avons levé 2 millions d’euros en 2011, puis 6 millions d’euros en 2013, dont 3 millions d’euros pour attaquer le marché américain. Après un fort développement aux États-Unis, nous avons vendu Shopmium à Quotient Technology fin 2015 pour réaliser une très belle sortie. Comme c’est coutumier après les acquisitions de startups, nous sommes restés travailler aux côtés de Quotient Technology pendant 3 ans. Enfin, je suis aujourd’hui le CEO d’Octoly, une plateforme de marketing d’influence. La majorité du business d’Octoly est aux États-Unis, et je vis aujourd’hui entre la France et les États-Unis.

On ne peut pas improviser son lancement aux États-Unis

Pouvez-vous nous décrire la façon dont vous vous êtes lancé aux États-Unis avec Shopmium ?

D’une part les investisseurs (les Venture Capitalists) attendent un plan de lancement précis et mesurable. D’autre part, pour obtenir son visa, il faut démontrer à l’administration américaine qu’on a un business plan réaliste, bien financé, et qui va créer des emplois. Dans notre cas, nous avons pris un bureau en coworking, et j’ai déménagé aux États-Unis. Là-bas, j’ai commencé par engager deux « Business Developers » américains, puis petit à petit, j’ai fait grandir l’équipe.

Quand je suis arrivé, j’ai été prévenu par plusieurs autres entrepreneurs français sur les différences culturelles entre la France et les États-Unis. J’ai pris ces conseils avec trop de légèreté, parce que je ne m’attendais pas à une telle différence. Comme nous sommes bercés par la musique et les films américains, on a vraiment le sentiment de connaître le pays. Cette différence culturelle est en réalité un fossé, où tout se déroule avec une vitesse et une intensité incroyable.

Les boites que j’ai vu réussir aux États-Unis sont les boites où un co-fondateur ou le CEO déménagent sur place. Les boites qui engagent un représentant local pour se lancer se sont presque toutes plantées. Les américains sont surentrainés aux entretiens d’embauche et font toujours une excellente impression. De plus, lorsqu’on prend des références sur les candidats, les américains disent seulement des choses positives, alors on a l’impression d’engager une star. Et ensuite, une fois en poste, on est souvent déçu.

On se laisse trop influencer par l’image que nous avons des américains et leurs succès mondiaux (les GAFA, leurs produits, leurs universités, etc.). Il est certain que le top du top est excellent aux Etats-Unis, mais en majorité, les équipes ne sont pas aussi performantes et indépendantes qu’en France. Une équipe américaine a besoin qu’on lui donne des taches précises et qu’on les manage de près pour atteindre un objectif, alors qu’on peut demander à une équipe française de résoudre un problème, et l’équipe va trouver une solution.

De plus, aux États-Unis, lorsque ça ne marche pas tout de suite, les employés se découragent vite. Par exemple, si un vendeur essuie deux refus, il va immédiatement blâmer le produit, la technologie, ou la grille de prix, au lieu de chercher comment résoudre un problème clé pour l’acheteur. Un « VP Sales » pouvant facilement couter $400 000 par an à New York, l’erreur peut couter très cher. J’ai échangé avec un grand nombre d’entrepreneurs français à New York qui ont partagé cette expérience : ils ont engagé des américains qui semblaient très compétents avec des salaires élevés, et 6 mois plus tard ils doivent tirer un constat d’échec, les licencier et se rendent compte qu’ils ont perdu beaucoup de temps et d’argent.

Le marché américain connait une forte concurrence, d’après votre expérience, quels conseils pouvez-vous donner à un entrepreneur qui souhaite se lancer aux États-Unis?

Il y a des complications dans chaque pays, et je ne crois pas que ce soit vraiment plus difficile aux États-Unis que dans un autre pays européen.  Mais réussir aux États-Unis raconte une histoire différente. On m’a souvent conseillé de commencer par le Royaume-Uni. C’est un mini Etats-Unis. Mais je ne pense pas que ce soit facile pour autant, et nous avons préféré aller chercher directement un succès décisif sur un beau marché de 330 millions de consommateurs.

Aux États-Unis, la concurrence est d’une violence que l’on ne connait pas en France. Il faut se donner les moyens de réussir financièrement, et il faut réussir à être aussi intense qu’eux. Les concurrents sont mieux financés et beaucoup mieux staffés. Dans mon cas, je ciblais la grande consommation, et j’ai essayé de signer des contrats avec des grands groupes avec nos petits moyens et nos deux premiers commerciaux. Mes concurrents ont levé 10 fois plus d’argent que nous, et eux avaient deux commerciaux assignés à CHAQUE grand groupe ! Lorsque je suis arrivé aux États-Unis, j’ai souffert de pouvoir investir seulement 3 millions d’euros sur ce marché, car chaque sou était important, et je n’avais pas le droit à l’erreur. J’ai dû privilégier la prudence au détriment de la vitesse.

J’ai aussi été surpris avec quelle aisance les concurrents, les commerciaux ou les employés mentent. Bien sûr, à leurs yeux, ils ne mentent pas; ils vous répondent qu’ils « exagèrent », ou qu’ils « anticipent la réalité ». En France, on n’hésite pas à être critique avec soi-même ou avec son produit. Aux États-Unis, on présente en faisant rêver : ils embellissent leur produit et ils font des promesses irréalistes. Comme il y a beaucoup de rotation parmi les employés des sociétés, ces promesses non-tenues posent rarement problème. Quand on arrive de France, tout cela n’est pas conforme avec notre éthique, et on a le sentiment que la bataille est très inégale.

Mais cette intensité est aussi positive : quand on perce sur le marché américain, on obtient rapidement des résultats impressionnants. Par exemple, en France nous avons mis 2 ans à atteindre notre premier contrat de 80 000€. Aux États-Unis, nous avons signé 4 contrats de plus de 80 000€ dans les premiers 6 mois.

Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez réussi à vous faire une place sur le marché américain ?

Shopmium était une véritable innovation. Nous étions la première solution qui permettait d’avoir des coupons mobiles dans tous les magasins, sans devoir se connecter à leur système informatique. Nous avons inventé un système sécurisé qui permet d’obtenir les données à partir d’une photo du ticket de caisse.

Notre technologie nous a permis de faire du marketing mobile chez Walmart, qui est le plus grand distributeur du monde, et qui représente 25% de la grande consommation aux États-Unis. Personne n’arrivait à faire ça car Walmart refusait l’accès à leurs données aux autres fournisseurs. Grâce aux photos des tickets de caisse fournis directement par les consommateurs, nous n’avions pas besoin de nous connecter aux systèmes de Walmart. C’est un des éléments clés qui a incité plusieurs sociétés à faire des offres de rachat pour Shopmium.

Quotient Technology (NYSE:QUOT) est le leader mondial du coupon digital. Ils nous ont initialement approchés pour réaliser une joint-venture, mais ils ont finalement préféré nous faire une offre de rachat. Se faire racheter parce qu’on complète les technologies de l’acquéreur est une façon solide de trouver une « exit » aux États-Unis. Et bien sûr, si on fait de l’ombre à un concurrent bien financé, ils préfèrent souvent racheter que mener une longue et chère bataille concurrentielle.

Pour conclure?

Si votre produit s’y prête et que vous avez trouvé votre « product-market fit », il faut se lancer rapidement aux États-Unis, on s’y développe beaucoup plus vite qu’en Europe. C’est très difficile de comprendre ce qui s’y passe à distance, et il faut donc y déménager pour pouvoir gérer et faire les nombreux ajustements nécessaires. Et enfin, il faut être à la fois humble et agressif dans son développement. Un équilibre difficile…

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